Jean-Philippe Boillat artiste suisse, Genève
Eléments succints de biographie
De mes études en sociologie, de mon travail de diplôme en psychologie sociale et de ma très courte carrière universitaire d'assistant de recherches en sciences politiques, je retiens l'étude et la mise en pratique de la méthode scientifique, théorie/hypothèse>modèle>validation par l'observation, l'expérimentation, la statistique,...et de son échec à accéder à la conscience et à la réalité par son absurde corrélat de l'objectivité ... bien que "ça fonctionne" dans la réalité relative - l'actualité de notre monde - du moins jusqu'à qu'une nouvelle notion fassse son apparition dans le champs de conscience scientifique. Les méthodes du matérialisme scientifique - des sciences sociales à la physique quantique - ont mis en évidence que l'observation (donc JE l'observateur) modifie ce qui est observé; mais les scientifiques continuent de faire comme s'ils ne le savaient pas en évitant de s'intéresser à l'observateur, JE qui dans ce corps expérimente, fais des hypothèses, analyse et en tire des théories et conclusions.
J'ai donc peu à peu basculer hors du champs universitaire pour investir concrêtement ce JE acteur et observateur; j'avais, parallèllement à mes études, pratiqué diverses expressions artistiques (danse moderne, mime, theâtre, poésie) pour finalement me consacrer à la création picturale. J'ai vécu de jobs alimentaires (non sans satisfaction) et suis devenu artiste, ce qui me semblait le plus approprié pour expérimenter et éprouver cette approche subjective de la réalité, de ce qui ne change pas, de ce qui est intemporel, éternel, immortel. Il y a dans l'acte de peindre des moments ou l'observateur disparait; ou je disparait et l'oeuvre se fait. Ce sont des moments de grâce.
La création a mené mon expérience intérieure sur d'autres terrains plus escarpés; entre 1989 et 1993, j'ai passé la moitié de mon temps en Inde et c'est là qu'est apparu paradoxalement dans mon champ de conscience un maître spirituel occidental. J'ai suivi son enseignement jusqu'à sa mort en 2003.
J'en écrirai probablement plus une autre fois.
Enseignant spirituel
Présentation de quelques oeuvres par époques / séries
Je n'avais aucune prédisposition ni au dessin ni à la peinture. Dès mes 11 ans j'avais écrit pour moi afin de palier à une entrave de mon expression verbale - le begaillement, que j'ai réussi à dompter à peu près à la mème époque où j'ai commencé à peindre. "Tu parles bien de toi quand tu parles de ta peinture" m'avais dit un ami.
Au début, je peignais avec les mains, les doigts, cassait, découpait, puis recollais, assemblais les morceaux épars, y inscrustait des éléments pour combler les "trous" .... et cela correspondait à l'expression de mon être déchiré, insatisfait, en quête d'absolu mais que seules d'intenses émotions pouvait toucher.
En 1987, la fracture était consommée et l'expression première, naive et innocente était enfouie sous un magma émotionnel informe, sans forme - dans ma vie et dans mon expression artistique. Une situation de laquelle je veux sortir. Un autre personne se dessine - j'apprendrai bien plus tard que personne ne change jamais, que tous les personnages sont vouées à être dissout si je veux être qui je suis - qui embrasse le boudhisme, le chi-kung, le mahikari de la lumière blanche, s'habille différemment, participe à des séminaires de développement personel, de tantra - et ma peinture passe de ce que l'on pourrait assimilier au mouvement de "l'abstraction lyrique" et une oeuvre plus conceptuelle, mais qui garde dans le fond - dans le fond du tableau, par sa matière et sa texture - la trace sensible du mouvement. Je m'inspire alors de la géométrie sacrée, des tarots, des symboles ancestraux. Je calcule les formes, les proportions, analyse le sens des couleurs avant de débuter sur la toile.
En 1993, alors que ma compagne était enceinte, je peins l'oeuf cosmique. En fait je ne l'ai pas peint mais dessiné au trait. C'est la première fois que le trait apparait dans mon oeuvre peinte comme délimitateur de forme; auparavant les surfaces se délimitaient les unes par rapport aux autres en créant ainsi des formes.
La naissance de mon fils a fait éclater l'oeuf et le trait est devenu la forme; le trait est devenu dessin, cellule, fleurs, et autres; puis il est devenu trame et la trame est denue surface, écran ou pouvait se projeter des images.
Entre 1996 et 1998 j'ai oeuvré à la série de tableaux pour mon exposition chez Andata/Ritorno. Parrallèlement, en autodidactique - je n'avais jamais touché en ordinateur auparavant - je me suis engouffré dans la création graphique avec l'apparition d'ordinateurs personnels et de logiciel professionnels qui allaient changer le monde des arts graphiques.
Après mon exposition chez Andata/Ritorno fin 1998, j'arrivais dans une période de retraite nécessaire avant d'entreprendre une nouvelle série de peintures. Mon travail et apprentissage de graphiste et webdesigner indépendant me prenait toujours plus de temps. Mon atelier est progressivement devenu mon bureau et j'ai réintégrer le monde du travail que je n'avais plus cotoyé depuis 1989 ... je n'ai jamais commencer cette nouvelle série picturale. L'art ou l'existence.
J'ai consacré 18 ans de ma vie à la création picturale. Le peintre s'est retiré et j'ai continué de vivre.
Ce carnet de route, je l'ai conçu dès le départ comme un livre d'images, avec une couverture, une 4ème de couverture et une lecture en suivi.
Réalisés pour une vison de la double pages, très peu de textes et des dessins ou gouaches parfois cadrés comme s'il s'agissait de reproductions d'oeuvres, ce livre est une expérimentation de la création.
Carnet de voyage que j'ai commencé à Hampi en février 1990 et terminé à Goa en mai 1991.
Lors de mon premier voyage en Inde, j'avais un carnet de notes dans lequel j'ai beaucoupe écris.
Arrivé à Hampi, j'ai trouvé dans une échoppe ce livre relié de papier fait main. Alors que la plupart des voyageurs ne restent qu'un jour ou deux, je suis resté 3 semaines dans ce lieu de pierres, de rivières sans fond, de serpents et de silence. Je n'avais entendu un tel silence qu'en 1973, une nuit dans la cabane qui surplombe le glacier d'Alestch.
J'ai donc commencé à peindre ce livre, textes et images au pinceau et gouache, dans un anglais approximatif - je ne maîtrisait alors pas cette langue.
Les planches présentées sont des pages choisies.
De part sa taille (76 X 32 cm ouvert ) ce livre est resté un carnet d'atelier.
Toutes les pages - comme dans la plupart de mes carnets - les dessins sont conçus dans la double page.
J'ai toujours beaucoup écris, généralement des textes introspectifs, des réflexions sur l'existence et des interrogations concernant l'expression et les intentions de l'art.
Entrer / Sortir sont des morceaux choisis d'un carnet de route - textes, dessins et gouaches. J'ai créer cette mis en page lorsque j'ai commencé mon activitée professionnelle de graphiste digital.
J'ai rarement montré le carnet original, tout comme les autres livres dans lesquels j'écrivais dessinais et peignais.
14 années séparent ces 2 oeuvres. "Composition 1984" fut ma première oeuvre à être exposée et vendue. "Freeze Frame Picture" fut ma dernière série et a marquée la fin de mon aventure picturale.
Bien que je voie la filiation visuelle de ces 2 oeuvres - ma vision est identique - ma conscience est différente.
Dans le premier tableau, j'essaie désespérement de lier les choses les unes aux autres et d'en faire une unité; alors que dans la dernière série, j'ai prix conscience de la non-continuiré de ce qui est perçu et de ce qui est; les choses existent les unes à côté des autres, mais mes sens sont incapables de me donner une vision de tout en mème temps; je ne peux pas voir devant et derrière moi en mème temps; alors je complète la vision de tout le tableau par ma mémoire ou mon imagination, créant ainsi une abstraction de l'unité.
Lorsque je prends conscience que je suis tout - tout, qui ne peut être différencié par ceci ou cela ni par ceci et cela, tout qui ne peut être vu ou décrit ou perçu physiquement par la logique même de notre univers physique - je suis en même temps rien de particulier, rien dont je puisse parler ou en dire quoique se soit, par la logique même du langage, un mot un espace un autre mot....
Je est rien et disparaît. Et en disparaissant, instantanément je suis ici dans ce corps qui voit entend perçoit parle écrit entend et lit. Ah quel soulagement de tant de simplicité; anecdotique et essentiel, plus de sens caché ou à chercher. Juste ici maintenant écrire ou lire ces mots, regarder sans scruter.
Voici un extrait d'un entretien datant de 1998 concernant ma dernière exposition
A mes yeux vos images ont un caractère énigmatique. Quelles sont vos sources d’inspiration?
La seule chose qui m’importe est ce qui soutient l’existence de toute chose, ce rien d’avant les formes, quel que soit le nom qu’on lui donne: espace, vide, rien, éternité, silence, Dieu ou je-ne-sais-quoi. C’est un espace intime, intérieur, contenant tout . C’est l’énigme de la vie et je n’ai d’autre solution que de la vivre. Je peins comme si je recueillais les images d’un voyage; elles sont imprécises, délicates, imparfaites, ponctuelles et partielles.
D’où le titre de cette série “freeze frame pictures“ – en français arrêt sur images?
Oui. Chaque image n’est qu’une partie du tout qui est au-delà de toutes représentations. La composition de deux ou plusieurs tableaux met l’accent sur la discontinuité et l’autonomie fondamentale de chaque image ou de chaque instant. La continuité, ou le mouvement, est une illusion créée par la lenteur de mon cerveau, qui échoue à voir l’espace entre chaque image. Dans mes peintures antérieures, je voulais créer les liens, créer l’unité, d’abord physiquement (assemblage ou collage des différentes parties) puis symboliquement (faux-cadre et accentuation du centre). Cette série “freeze frame pictures” est une histoire de parties et de tout. La perception de l’espace crée l’unité. C’est une grande énigme pour le cerveau humain, qui cherche toujours à comprendre mentalement (d’une manière linéaire et discursive) ce que les mystiques ont exprimé par “Je suis Un” ou par “Je suis Tout” . Je ne prétend pas à cela. Je tente seulement de déjouer le mécanisme mental qui veut donner un sens, une continuité, à tout ce que je perçois, moi qui préfère être dans la sensation plutôt que dans l’interprétation.
Vos peintures semblent être des photos prises sans focus, des agrandissements, des détails microscopiques, ou des repiquages d’images vidèo. Quelles relations faites-vous entre la photographie et la peinture?
L’image photographique ou vidéo est une référence qui prend de plus en plus la place de la réalité (qui a vu les pyramides, les chutes du Niagara la guerre du Golfe ou Le Paradis de Bosch de ses propres yeux ?). L’aspect photographique confère à mes peintures une aura de réalité et interpelle le regard afin qu’il appréhende la substantialité de l’espace, sa granulosité, ou ce que je nomme parfois sa trame. J’invite à voir l’écran plutôt que l’image.
Pourquoi des images noir/blanc?
C’est un contrepoint à ce que je disais tout à l’heure de la réalité . L’image noir/blanc est un archétype de l’abstraction; elle ne retient que certaines valeurs de l’image ; elle s’apparente au rêve, et au-delà, au mythe de la création et de la vie. Le noir représente pour moi ce vide ou cet espace hors existence, ce tout d’avant les formes. J’ai laissé les images naître dans le noir, une à une, pour elles-mêmes. Elles sont à la fois insignifiantes et essentielles. J’avais toujours pensé que, parce que je faisais de la peinture dite abstraite, j’échappais aux images. Mais toute chose visible est une image. L’image n’est qu’une apparition, une apparence, une projection sur l’écran de ma vision; cependant sans les images il n’y a rien – à voir. L’image fonctionne comme un appât pour le regard et il arrive parfois que je me surprenne alors à regarder autre chose que l’image. Je crois que cela à toujours été la fonction de la peinture, de faire pénétrer celui qui regarde dans l’immatériel.
Expositions
Personnelles
1986 Galerie Kara, Genève
1990 Galerie Ex-it, Genève
1993 Galerie Art Programme, Carouge
1994 Galerie Tour de Diesse, Neuchâtel
1995 Galerie Uni-Terre, Genève
1998 Galerie Andata/Ritorno, Genève
Collectives
1987 Halle de l’île, Genève
MUBA, Basel
1988 Galerie N29, Genève
Maison du Grütli, Genève
1989 Galerie N29
1991 Forum des Grottes, Genève
Galerie New Art, Vevey
1994 Salon de l’Institut National Genevois
Manifestations
1987 Tromp’art, Genève
1989 Reform’art, Genève
1996 Neuchâtel-Art